Hugo Villaspasa, dessin 2008

vendredi 7 mai 2010

Nietzsche. Se créer liberté


Que l’on connaisse ou non la vie et l’œuvre du philosophe allemand Friedrich Nietzsche, on découvrira avec curiosité cette bande-dessinée conçue par un jeune dessinateur Maximilien Le Roy à partir d’un script cinématographique de Michel Onfray intitulé L’innocence du devenir, la vie de Frédéric Nietzsche. De sa naissance à Röcken à sa mort à Naumburg, c’est le parcours de cet apatride philosophe-artiste qui se trouve retracé. La mort traumatisante du père, la formation au collège de Pforta, les études théologiques et leur abandon, l’amour de la musique, la découverte fracassante du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer, ses visites chez les Wagner à Tribschen, l’enseignement de la philologie à Bâle, son amitié avec Peter Gast et Paul Rée, ses voyages à Venise, Gênes, Sils-Maria, Nice et Sorrente, sa rencontre avec Lou Salomé à Rome, son projet de communauté philosophique et sa solitude grandissante, ses difficultés à vendre ses livres et se faire éditer malgré Naissance de la tragédie, Ainsi parlait Zarathoustra et tant d’autres coups d’éclats littéraires, et puis ses troubles pathologiques, sa souffrance physique et psychologique jusqu’au coup de folie de Turin, son internement à la clinique psychiatrique de Bâle et sa lente extinction à Naumburg entouré de sa mère et de sa sœur qu’il a fini par détester, sa mort enfin le 25 août 1900, tout cela se trouve ici évoqué. Tantôt seulement suggéré par les dessins, tantôt soutenu par les dialogues, le vécu de Nietzsche se déroule sous nos yeux, le tout parsemé de quelques extraits choisis des œuvres du philosophe. Sa pensée s’y trouve nécessairement résumée à grand traits et de manière partielle, toutefois sa quintessence s’y révèle et c’est pourquoi on ne saurait que trop conseiller la lecture de cet ouvrage aux plus jeunes. De bénéfiques rappels sur la récupération de la pensée de Nietzsche par sa sœur antisémite, devenue l’amie d’Hitler, achèvent l’opus.
Un ouvrage réussi qui invite à lire ou relire Nietzsche. On pourra aussi consulter le très bon film d’Alain Jaubert Nietzsche, une vie philosophique et Nietzsche, miracle français par Philippe Sollers.
On pourra surtout se plonger ou se replonger dans les œuvres de ce philosophe iconoclaste, ô combien lucide et passionné par la vie.


Extraits choisis :

« Tout idéalisme m’est étranger. Là où vous voyez des choses idéales, moi je vois des choses humaines, hélas ! trop humaines ! »
« On se rend maintenant très bien compte à l’aspect du travail – c’est-à-dire à ce dur labeur du matin au soir – que cela constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but mesquin, et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence jouira d’une plus grande sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême. »
« C’est à peine si je frôle encore les crêtes des vagues. L’existence où je serais censé nager m’est comme extérieure, et je touche sa peau joueuse non sans un frisson de volupté : suis-je devenu poisson-volant ? »
« Nous n’aimons pas l’humanité ; mais d’autre part, nous sommes bien loin d’être assez allemand pour être les porte-parole du nationalisme et de la haine des races, pour nous réjouir des maux de cœur nationaux, et de l’empoisonnement du sang, qui font qu’en Europe un peuple se barricade contre l’autre comme si une quarantaine les séparait. Pour cela, nous sommes trop libres de toute prévention, trop malicieux, trop délicats, nous avons aussi trop voyagé…Nous préférons de beaucoup vivre dans les montagnes, à l’écart, « inactuels »… Nous autres sans-patrie, nous sommes trop multiples et trop mêlés de race et d’origine, pour faire partie des « hommes modernes ». »
« Et Zarathoustra parla ainsi au peuple : je vous enseigne le surhumain…l’homme est quelque chose qui doit être surmonté…Ce qui est grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non un but…Je vous le dis : il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante…Pour détourner beaucoup de gens du troupeau – voilà pourquoi je suis venu. »
« Le manque, durant des années, d’une affection humaine réellement reposante et salvatrice, l’isolement absurde que ce défaut implique, le fait que presque tout ce qui subsiste de relations humaines ne soit qu’une cause de blessures, tout cela participe du pire et n’a qu’une légitimité, celle d’être nécessaire. »
« Allons de l’avant, allons plus haut ! L’ici-bas et l’existence ne sont supportables que si l’on emprunte ce raide sentier vers les hauteurs ! »

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